LA PRESCRIPTION EN MATIÈRE DE RECONNAISSANCE ET D’EXÉCUTION DES SENTENCES ARBITRALES CONFORMÉMENT AU DROIT NIGÉRIAN

Par: Emmanuel Nwanneka Onyibor, MCArb

Introduction

Une sentence est rendue à la fin de chaque procédure arbitrale et cette sentence, lorsqu’elle est rendue dans une procédure d’arbitrage, doit être reconnue et exécutée par la partie gagnante contre son adversaire. La disposition des tribunaux nigérians à reconnaître et à exécuter une sentence arbitrale, la facilité ou la difficulté d’y parvenir et les délais probables de la procédure de reconnaissance et d’exécution sont des questions qui préoccupent énormément toute personne souhaitant faire exécuter une sentence arbitrale au Nigeria. De même, la position judiciaire concernant la prescription de la reconnaissance et de l’exécution d’une sentence arbitrale revêt une grande importance dans le cadre de cet article, à savoir quand le délai de prescription légal commence à courir aux fins de la reconnaissance et de l’exécution d’une sentence arbitrale ; est-ce à partir de la date de survenance de la cause d’action initiale, c’est-à-dire à partir du jour où la violation qui a obligé les parties à se soumettre à une procédure d’arbitrage s’est produite. Par ailleurs, une partie qui a obtenu une sentence six ans après le début de la procédure arbitrale sera-t-elle privée de la reconnaissance et de l’exécution de sa sentence au Nigeria pour cause de prescription ?

Définition de la Reconnaissance et de l’Exécution

Dans la pratique de l’Arbitrage, après le prononcé d’une sentence arbitrale, si la partie qui succombe se conforme aux termes de la sentence, l’affaire est close. Néanmoins, il est souvent difficile d’obtenir que la partie qui succombe se conforme aux termes de la sentence, car celle-ci peut commencer dès le début à contester la sentence ou à refuser de l’exécuter, auquel cas, lorsque la partie qui a obtenu gain de cause prend des mesures pour exécuter la sentence, la partie qui succombe peut opposer une résistance en demandant au tribunal de refuser la reconnaissance et l’exécution de la sentence arbitrale. Le Black’s Law Dictionary définit le terme “Reconnaissance” comme une ratification, une confirmation, une reconnaissance que quelque chose fait par une autre personne en son nom a son autorité. C’est la déclaration de la validité de la sentence. C’est l’acceptation qu’une sentence est valide et contraignante.

Une fois qu’une sentence est acceptée, elle revêt automatiquement le statut d’un jugement de tribunal. Pour qu’un tribunal puisse exécuter une sentence arbitrale, il doit d’abord constater et déclarer la validité de la sentence. L’Exécution signifie l’action de mettre quelque chose, comme une loi, en vigueur ; l’exécution d’une loi ; l’exécution d’un mandat ou d’un ordre. Les gens utilisent souvent les termes “reconnaissance” et “exécution” de manière interchangeable, comme s’il s’agissait d’une seule et même chose. La reconnaissance d’une sentence est en soi un processus défensif. Elle se produit généralement lorsque la partie qui succombe engage une action concernant le même sujet ou se comporte comme si aucune sentence arbitrale valide n’avait été rendue. Dans une telle situation, la partie bénéficiaire de la sentence demandera au tribunal de reconnaître la sentence arbitrale et de la déclarer valide et exécutoire pour la partie malheureuse de l’arbitrage.

Pour qu’une demande de reconnaissance aboutisse, le demandeur doit annexer la sentence à l’affidavit qui l’accompagne à l’appui de sa demande. Lorsque la sentence couvre toutes les questions soulevées par la partie déboutée dans son action en justice, le tribunal déclarera la sentence valide et mettra fin à la nouvelle procédure sur la base de l’autorité de la chose jugée (res judicata), mais si la sentence arbitrale ne traite que certaines des questions soulevées dans la nouvelle action, il y aura une ordonnance mettant fin à la question déjà traitée dans l’arbitrage sur la base de l’esttoppel. Un tribunal appelé à reconnaître une sentence a le devoir de se prononcer uniquement sur la force et l’effet juridiques de la sentence et pas nécessairement de veiller à ce qu’elle soit exécutée. Une juridiction invitée à exécuter une sentence arbitrale a le devoir non seulement de constater la force et l’effet juridiques de la sentence mais aussi de s’assurer qu’elle est exécutée en utilisant toutes les sanctions légales à sa disposition. Un tribunal exécute une sentence parce qu’il reconnaît qu’elle est valide et exécutoire pour les parties. L’exécution est une étape supplémentaire après la reconnaissance. L’exécution est une mesure pragmatique prise pour garantir que la partie qui succombe exécute les termes d’une sentence arbitrale.

Juridiction compétente pour la Reconnaissance et l’Exécution d’une sentence arbitrale

Le lieu où une demande peut être faite pour la reconnaissance ou l’exécution d’une sentence arbitrale au Nigeria est le Tribunal. Le Arbitration and Conciliation Act du Nigeria définit le Tribunal (Court) comme étant le Tribunal de grande instance de l’État (High Court of the State), le Tribunal de grande instance fédéral (Federal High Court) et le Tribunal de grande instance du Territoire de la capitale fédérale d’Abuja (High Court of the Federal Capital Territory Abudja).

La demande doit être faite auprès de ce même Tribunal qui aurait été compétent pour traiter l’affaire si les parties n’avaient pas convenu d’un arbitrage. Il existe des conventions auxquelles le Nigeria a adhéré et qui prévoient l’exécution de la sentence arbitrale par une juridiction supérieure au Tribunal de grande instance. Un exemple de ces conventions est la Convention du CIRDI. Les sentences arbitrales du CIRDI sont revêtues de la force exécutoire devant la Cour Suprême du Nigeria, qui est la plus haute juridiction du pays. En recherchant la juridiction qui accueillera la demande d’exécution d’une sentence arbitrale, il est conseillé au demandeur de faire du “forum shopping” afin de déterminer où la partie déboutée possède des actifs qui répondront à la demande de la sentence arbitrale. Il lui est également conseillé de prendre en compte l’ordre public du lieu de la procédure. Il n’est pas conseillé de demander l’exécution dans une juridiction secondaire ou lorsque la partie déboutée contre laquelle l’exécution de la sentence est demandée a des actifs limités.

Délai de prescription pour la Reconnaissance et l’Exécution d’une Sentence Arbitrale :

Le délai de prescription pour la reconnaissance et l’exécution d’une sentence arbitrale au Nigeria est régi par des lois. En général, le Statute of Limitation est la loi qui fixe le délai dans lequel une personne lésée peut introduire ou déposer son action pour qu’elle soit tranchée par le tribunal ou tout autre organe établi à cet effet. L’origine de cette loi sur la prescription au Nigeria remonte à l’introduction du droit Anglais au Nigeria par l’Ordonnance n°3 de 1863. Le English Limitation Act, qui est une loi d’application générale, a été la première loi de prescription au Nigeria, bien qu’elle ait été abrogée par la suite par les dispositions de la section 70 du Limitation Act 1966.

Une convention d’arbitrage n’est aucunement différente de tout autre contrat conclu par les parties. La section 59 de la Limitation Act 1966 définit l’arbitrage et la sentence arbitrale aux fins de la loi. Elle déclare également que les dispositions de cette loi et de toute autre loi sur la prescription s’appliquent à l’arbitrage comme elles s’appliquent à une action en justice. Il convient de mentionner que le Arbitration and Conciliation Act du Nigeria et la Convention de New York ne précisent pas de délai pour l’exécution de la sentence. Le Foreign Judgment (Reciprocal Enforcement) Act Cap F35 prescrit un délai de six ans pour l’exécution d’une sentence étrangère. C’est en raison de l’absence de dispositions relatives à la prescription dans la Convention de New York et dans la loi sur l’arbitrage et la conciliation du Nigeria que l’accent sera mis sur le Limitation Act du Nigeria et les lois sur la prescription des différents États du Nigeria. La loi sur la prescription est très importante en matière d’arbitrage et de litige. En effet, tout droit qui est prescrit est un droit imparfait qui ne peut être exercé. Le délai de prescription est important en ce sens que les actions dormantes relèvent plus de la cruauté que de la justice. Lorsqu’une partie est autorisée à intenter son action à tout moment contre le défendeur, il est probable qu’une action soit introduite des années plus tard, après que le défendeur ait cru que tout était terminé et qu’il ait perdu toutes les preuves matérielles pour sa défense dans le procès. On s’attend à ce que les parties ayant de bonnes causes d’action les poursuivent avec diligence et sans délai. 

Le Limitation Act a fixé à six années le délai de prescription pour intenter une action fondée sur des contrats simples, des délits et notamment une convention d’arbitrage. La question qui nous préoccupe est de savoir quand ces six ans commencent à courir. Dans l’affaire MSS Line c/ Kano Oil Millers Ltd, le demandeur a intenté son action contre la sentence arbitrale moins de six ans à compter de la date à laquelle le défendeur a violé la convention d’affrètement. En appel, le demandeur a soutenu que le délai courait à partir de la date de la sentence en 1966, mais le défendeur a affirmé que le délai courait à partir de la date de la rupture de la convention d’affrètement en 1964.

La Cour Suprême a tranché que le délai de prescription court à partir de la date à laquelle la cause de l’arbitrage est survenue, c’est-à-dire à partir de la date à laquelle les demandeurs ont acquis pour la première fois soit un droit d’action, soit un droit d’exiger que l’arbitrage ait lieu sur le litige.

Avec tout le respect que nous lui devons, nous ne partageons pas cette décision de la Cour suprême du Nigeria car elle n’est pas juste en droit. En effet, la convention d’arbitrage comporte deux engagements principaux, le premier étant l’engagement de se soumettre à l’arbitrage lorsque le litige survient, et le second étant l’engagement de se conformer à la sentence arbitrale une fois rendue. Ces deux engagements constituent deux contrats distincts.

Il s’ensuit donc que le délai de prescription pour le renvoi à l’arbitrage court à partir de la date de la violation donnant lieu à l’arbitrage alors que le second délai de prescription pour l’exécution commence à courir à partir de la date à laquelle le défendeur a refusé de se conformer aux termes de la sentence. Cela s’explique par le fait que la même Cour Suprême avait, dans l’affaire KSUDB c/ Fanz Construction Co. Ltd, déclaré qu’une sentence une fois publiée éteint tout droit d’action concernant la question de fond en litige et donne lieu à une nouvelle cause d’action fondée sur l’accord entre les parties d’exécuter la sentence, implicite dans toute convention d’arbitrage.

Dans l’affaire City Engineering Nig. Ltd. c/ Federal Housing Authority, la Cour Suprême a jugé que le délai de prescription pour l’exécution d’une sentence arbitrale est de six ans et que le délai commence à courir à partir de la date à laquelle la cause de l’action a pris naissance dans la convention d’arbitrage et non à partir de la date du prononcé de la sentence arbitrale, sauf si l’arbitrage relève de la règle Scott c/ Avery, auquel cas le droit d’action est suspendu jusqu’à ce que la sentence soit rendue, et dans ce cas le délai court à partir du prononcé de la sentence.

Dans l’affaire City Engineering Nig. Ltd. c/ Federal Housing Authority, les parties ont conclu un accord écrit en date du 17 décembre 1974 par lequel l’appelant devait construire un certain nombre d’unités de logement à Festac Town Badagry Road, Lagos. L’accord contenait une disposition prévoyant de soumettre toutes les questions litigieuses à l’arbitrage. Un différend a surgi entre les parties au cours de l’exécution du contrat. Le défendeur, plutôt que de régler le différend entre les parties, a menacé, par sa lettre du 5 décembre 1980, de résilier le contrat. En réaction à cette menace, l’appelant a, par sa lettre du 10 décembre 1980, dûment notifié l’intimé et demandé son consentement à la nomination d’un arbitre. Les parties se sont finalement adressées à un arbitre unique. La procédure d’arbitrage a débuté le 11/12/81 et une sentence a été rendue en novembre 1985 pour un montant de 3.722.188,75 Naira en faveur de l’appelant. L’intimé n’ayant pas honoré le paiement de la somme, l’appelant a déposé une requête en vue de faire exécuter la sentence par autorisation. Le Tribunal de grande instance a rejeté la demande pour cause de prescription. Après un appel supplémentaire devant la Cour d’appel et la Cour Suprême respectivement, la demande a été rejetée pour la même raison. La Cour Suprême du Nigeria a décidé, entre autres, que :  

Lorsqu’une convention d’arbitrage n’est pas scellée ou conclue en vertu d’un autre texte législatif que l’Arbitration Law, le délai de prescription qui lui est applicable est de six ans. Le délai de prescription aux fins d’une action faisant l’objet d’une convention d’arbitrage commence à courir à partir de la date de survenance de la cause d’action dans la convention d’arbitrage et non à partir de la date de la sentence arbitrale… En vertu de la common law, lorsque la convention d’arbitrage contient une clause Scott v. Avery (selon laquelle l’arbitrage est une condition préalable à l’introduction de toute action en justice), le délai de prescription court à partir de la date de la sentence.

La décision de la Cour Suprême dans cette affaire est particulièrement insatisfaisante car la loi n’impose pas l’impossibilité. Le délai ne peut pas commencer à courir avant le prononcé de la sentence. Deuxièmement, une convention d’arbitrage constitue deux contrats distincts, à savoir le contrat de soumettre le litige à l’arbitrage lorsqu’il y en a un et, deuxièmement, le contrat ou l’accord de se conformer aux termes de la sentence rendue. Dans l’affaire Kano State Urban Development Board c/ Fanz Construction Co. Ltd, le juge Agbaje a déclaré qu’une sentence arbitrale constitue une cause d’action indépendante. Dans l’affaire Turner c/ Midland Rly Co, la Cour a jugé que “lorsqu’une action est intentée sur la base d’une sentence, le délai de prescription de six ans court à partir de la date de la sentence et non à partir du moment où la réclamation est née, car la sentence elle-même donne naissance à une nouvelle cause d’action”. Un point de vue similaire a été exprimé dans le Halsburys’ Laws of England, où il est dit que :

L’effet de la sentence est tel que la convention de référence le prescrit expressément ou implicitement lorsqu’aucune intention contraire n’est exprimée et, lorsqu’une telle disposition est applicable, toute convention d’arbitrage est réputée contenir une disposition selon laquelle la sentence est définitive et exécutoire à l’égard des parties et de toute personne se réclamant d’elles respectivement… La publication de la sentence éteint donc tout droit d’action à l’égard des anciennes questions en litige (sic) mais donne naissance à une nouvelle cause d’action fondée sur l’accord entre les parties d’exécuter la sentence qui est implicite dans toute convention d’arbitrage.

La position de l’Angleterre est celle établie dans l’affaire Agromet Motor Import Ltd. c/ Maulden Engineering Co. (Beds) Ltd. où la cour a décidé que le délai commence à courir à partir de la date de la violation de la clause implicite d’exécution de la sentence et non à partir de la date de naissance de la cause d’action initiale donnant lieu à la réclamation. La Cour Suprême du Nigeria, dans sa décision dans l’affaire MSS Line c/ Kano Oil Millers, s’est appuyée sur la prescription expresse des savants auteurs de Russell on Arbitration dans laquelle ils ont déclaré que :

Le délai de prescription court à partir de la date à laquelle la cause d’arbitrage est née, c’est-à-dire à partir de la date à laquelle le demandeur a acquis pour la première fois soit un droit d’action, soit le droit d’exiger qu’un arbitrage ait lieu pour le litige concerné.

Il est important de noter que les auteurs de Russell on Arbitration ont, dans la 22ème édition de leur livre, réaffirmé la loi en l’alignant sur la décision de la Cour dans l’affaire Agromet. La position du droit au Nigéria est regrettable, comme l’indique la décision de la Cour Suprême dans l’affaire City Engineering Nigeria Ltd c/ Federal Housing Authority : le délai de prescription pour la reconnaissance et l’exécution d’une sentence arbitrale est de six ans et ce délai commence à courir à partir de la date de la cause initiale de l’action. 

Conclusion :

Une juxtaposition textuelle étroite des décisions de la Cour Suprême du Nigeria dans les affaires Kano State Urban Development Board c/ Fanz Construction Co. Ltd ; MSS Line c/ Kano Oil Millers Ltd et City Engineering Nig. Ltd c/ Federal Housing Development Authority, à savoir la position du droit nigérian quant au moment où le délai commence à courir aux fins de la reconnaissance et de l’exécution des sentences arbitrales, montrera, avec tout le respect qui lui est dû, que la Cour Suprême du Nigéria, dans ces affaires, a été plongée dans un tissu de confusion contextuelle quant au moment où le délai commence à courir pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales nationales et internationales au Nigéria. Afin de mettre un terme à cette confusion, il est conseillé aux tribunaux nigérians de reconsidérer leur position en se conformant à la position anglaise exprimée dans l’affaire Agromet.

Références :

N. Onyeaso, ‘Enforcement of Foreign Arbitral Awards in Nigeria,’ (février 2009), disponible sur< www.blackfriars-law.com > consulté le 29 novembre 2020.

Prof. GC Nwakoby et Dr. CE Aduaka, The Recognition and Enforcement of International Arbitral awards in Nigeria : The Issue of Time Limitation. Publié dans Journal of Law, Police and Globalization ISSN 2224 – 3240 (Paper) ISSN 2224 -3259 (Online) Vol. 37, 2015.

GC Nwakoby, The Law and Practice of Commercial Arbitration in Nigeria 2nd Edt. Snaap Press Ltd. Enugu, 2014, 2015, 2016.

Arbitration and Conciliation Act Cap A18 Laws of the Federation of Nigeria (LFN) 2004, Section 57(2).

Loi sur le Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements (Exécution des sentences) Cap I20 Laws of the Federation of Nigeria 2004, Section 1(1).