Par : Adewole Oladimeji, ACArb
Introduction
L’idée d’une lex arbitri (loi de l’arbitrage) universelle est aussi illusoire que celle d’une paix universelle. Chaque État a ses propres caractéristiques nationales, ses propres intérêts à protéger et ses propres conceptions de la manière dont les arbitrages doivent être menés sur son territoire.
Le monde est en marche constante vers la globalisation. Cela se manifeste dans le commerce mondial actuel et les investissements des entreprises. L’Arbitrage suit cette tendance en harmonisant les pratiques arbitrales. En outre, ces pratiques sont soutenues par des règles, qui sont elles-mêmes soutenues par des lois. Ainsi, la pratique professionnelle de l’arbitrage à l’échelle internationale s’en trouve facilitée, et l’efficacité du processus arbitral s’en trouve accrue par la réduction de l’interférence des tribunaux étatiques.
En plus des lois nationales, les règles et les lois d’arbitrage sont administrées par des institutions et des organismes régionaux reconnus. Il s’agit notamment du Nigerian Institute of Chartered Arbitrators (NICArb), des Nations Unies, de la Cour d’Arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale (CCI), de la Cour d’Arbitrage International de Londres (LCIA), de la Cour Internationale d’Arbitrage, du Centre International de Règlement des Différends et de l’American Arbitration Association (AAA). En outre, des conventions et des traités tels que la Convention des Nations Unies pour la Reconnaissance et l’Exécution des Sentences Arbitrales Etrangères (Convention de New York de 1958) viennent étayer les règles et les lois d’arbitrage. Par exemple, la Convention de New York prévoit que les tribunaux de diverses juridictions dans le monde ratifient et exécutent les conventions et les sentences arbitrales.
Le droit de l’Arbitrage
Des lois internationales et nationales régissent les procédures d’Arbitrage. Toutefois, l’une des plus importantes est la “lex arbitri” (“droit de l’arbitrage”). Il s’agit de la loi qui régit la conduite de l’Arbitrage.
Le siège de l’arbitrage détermine généralement la lex arbitri. Toutefois, il existe des scénarios dans lesquels les parties, par le biais de leur accord, peuvent demander qu’une autre loi soit utilisée à la place de la loi du siège de l’arbitrage. La lex arbitri est toujours utilisée pour vérifier la légalité de l’utilisation d’un autre système de droit.
La lex arbitri diffère d’une juridiction à l’autre. En effet, les Pays ou les États sont libres de créer et de concevoir leurs lois sur l’Arbitrage. Cependant, la plupart du temps, la lex arbitri n’a aucun effet sur la procédure arbitrale. En effet, les parties ou les tribunaux ont la possibilité de fixer les règles de procédure pour la conduite de l’ensemble de l’arbitrage dans une convention d’arbitrage.
Le Siège de l’Arbitrage
Le siège de l’arbitrage ou loci arbitri désigne simplement la loi qui régit un procès arbitral. La loi anglaise sur l’arbitrage (English Arbitration Act) définit le siège de l’arbitrage comme “le siège juridique de l’arbitrage (juridical seat of the arbitration)” spécifiquement choisi par les parties, les institutions arbitrales ou un tribunal arbitral. Ainsi, si une procédure d’arbitrage a lieu au Canada, le siège de l’arbitrage sera le Canada et sera donc soumis au droit national canadien.
C’est l’un des rôles majeurs du siège de l’arbitrage sur la procédure. Certains affirment qu’il existe un “lien territorial” entre le siège de l’arbitrage et la loi régissant l’arbitrage. Au Nigeria par exemple, dans l’affaire Emerald Energy Res. Ltd. C/ Signet Advisors Ltd. la Cour d’Appel a statué comme suit :
“On issues involving arbitration and conciliation in Nigeria, the applicable law is Arbitration and Conciliation Act. The provisions of the Arbitration and Conciliation Act, regulate everything about arbitration and arbitral award. By the provisions of sections 31(1) and 51(1) of the Arbitration and Conciliation Act an arbitral award shall be recognized as binding and enforced in Nigeria. The application of the respondent at the trial court was for the recognition and enforcement of the arbitral award from London Court of International Arbitration, London. The procedure and the application were brought within the provisions of the Arbitration and Conciliation Act as stated above.”
(Traduction = En matière d’arbitrage et de conciliation au Nigeria, la loi applicable est l’Arbitration and Conciliation Act. Les dispositions de l’Arbitration and Conciliation Act régissent tout ce qui concerne l’arbitrage et la sentence arbitrale. En vertu des dispositions des sections 31(1) et 51(1) de l’Arbitration and Conciliation Act, une sentence arbitrale sera reconnue comme définitive et exécutée au Nigeria. La demande du défendeur devant le tribunal de première instance visait la reconnaissance et l’exécution de la sentence arbitrale de la London Court of International Arbitration. La procédure et la demande ont été soumises aux dispositions de l’Arbitration and Conciliation Act, comme indiqué ci-dessus).
Par conséquent, “lorsque l’on dit que Londres est le lieu de l’arbitrage, on ne se réfère pas uniquement à un emplacement géographique. On veut dire que l’arbitrage est considéré dans le contexte du droit de l’arbitrage de l’Angleterre“. Alastair décrit le concept de siège de l’arbitrage comme “une construction juridique, et non un lieu géographique. Le siège de l’arbitrage est la nation où un arbitrage international a son domicile légal ou son foyer juridique“. Ainsi, “les parties ne font pas un choix direct des lois applicables à leur arbitrage. Elles font plutôt un choix délibéré du siège/lieu et la lex arbitri applicable en découle“.
Le règlement de la CCI donne également cette autorité à la CCI dans les cas où il n’y a pas de choix exprès du lieu de l’arbitrage. Dans l’affaire anglaise Braes of Doune Wind Farm ( Écosse) C/ Alfred McAlpine Business Service, il n’y avait aucune indication sur le siège de l’arbitrage ou le choix de la loi d’arbitrage dans la convention d’arbitrage. Cependant, le tribunal a pris une décision concernant le siège de l’arbitrage en utilisant le droit processuel choisi par les parties. Les parties ont choisi le droit processuel anglais pour régir leurs procédures arbitrales et les tribunaux ont donc décidé que le siège de l’arbitrage serait l’Angleterre.
Le siège de l’arbitrage devient plus important lorsqu’il s’agit de litiges ayant un “caractère international”. Cela inclut les litiges concernant un accord entre deux parties de pays différents. Par exemple, l’une est finlandaise et l’autre danoise. Les deux parties souhaiteront appliquer leur loi nationale pour régir l’accord. Par souci d’équité, un terrain neutre doit être choisi et intégré à l’accord. Ce terrain neutre serait un autre pays, par exemple le Nigeria. Le siège de l’arbitrage étant désormais le Nigeria, la loi régissant l’arbitrage devra être la loi nigériane, conformément à l’Arbitration and Conciliation Act (loi sur l’arbitrage et la conciliation). C’est la règle de droit du lieu de l’arbitrage (lex loci arbitri). Dans l’affaire Mekwunye C/ Imoukhuede, la Cour Suprême du Nigeria a déclaré que “l’Arbitrage au Nigeria est régi par l’Arbitration and Conciliation Act”.
Toutefois, il convient de noter que même si une convention d’arbitrage indique expressément un pays particulier comme siège de l’arbitrage, les parties peuvent décider d’inclure des clauses prévoyant qu’une règle différente régit la procédure. Dans l’exemple ci-dessus, les parties peuvent choisir la Loi type à la place du droit nigérian pour régir l’arbitrage.
D’autre part, dans l’affaire Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC) C/ Lutin Investment Ltd, il a été jugé que les arbitres sont habilités à déterminer le lieu du siège en l’absence d’accord des parties et que la lex abitri est invariable.
En outre, le siège de l’arbitrage ne change pas par le fait que les parties ont tenu une audience ou une réunion dans une autre juridiction. Dans l’affaire Naviera Amazonia Peruana SA C/ Compania Internacional de Seguros del Peru (affaire de l’assurance péruvienne), une Cour d’Appel anglaise a déclaré que les parties peuvent trouver opportun de tenir des réunions dans d’autres pays et que cela n’annulera pas leur siège d’arbitrage initial, sauf si les parties le souhaitent.
La loi du siège de l’arbitrage
L’arbitrage international comporte environ cinq étapes différentes durant lesquelles diverses lois ou règles peuvent entrer en scène et avoir un effet sur le déroulement de la procédure arbitrale. La première étape, le fondement de l’arbitrage lui-même, est la loi régissant la convention d’arbitrage ainsi que l’interprétation du reste de la convention.
La deuxième étape est la loi qui régit le lieu de la procédure arbitrale ou la lex arbitri, ainsi que la composition du tribunal arbitral. La troisième est la loi qui régit les questions de fond entre les parties, qui est également décrite comme la loi applicable.
La quatrième étape est constituée par les règles générales et les directives qui peuvent être applicables à un cas donné. Elles ont été décrites comme le droit commun ou le droit procédural. Enfin, et c’est l’un des plus importants, le droit qui régit la ratification et l’exécution de la sentence du tribunal arbitral. En raison du caractère international d’un litige, deux ou plusieurs de ces lois peuvent être exigées par différents États. La partie gagnante peut exiger l’exécution de la sentence dans plus d’un pays et utiliser ainsi le système juridique de chaque pays d’exécution.
La loi du siège de l’arbitrage est “exprimée en des termes très larges”. Par exemple, la Loi type prévoit que les parties doivent être traitées sur un pied d’égalité dans tous les cas et qu’elles doivent avoir toute latitude pour présenter leur demande ou leur défense. On trouve des dispositions similaires dans d’autres réglementations. Ainsi, quel effet la loi du siège de l’arbitrage a-t-elle sur la procédure arbitrale ?
La trajectoire des lois régissant l’arbitrage international est de maintenir la flexibilité de la procédure arbitrale. Par conséquent, les parties et les arbitres sont autorisés à façonner et à déterminer les procédures régissant l’arbitrage en fonction de la particularité de leur cas.
Le droit suisse permet aux parties de choisir le droit processuel qui leur convient. Ainsi, le siège de l’arbitrage peut être la Suisse mais le tribunal arbitral peut appliquer les lois de procédure en vigueur en Angleterre. Comme nous l’avons dit plus haut, il faut se référer au droit suisse pour déterminer si et dans quelle mesure il autorise l’utilisation de lois processuelles autres que les siennes.
Le rôle de la loi du siège de l’arbitrage dans la conduite d’un arbitrage donné devient particulièrement important lorsque la doctrine de la dissociabilité est prise en compte. Cette doctrine implique qu’un contrat général entre deux parties est séparé et distinct de la convention d’arbitrage qu’il contient. Par conséquent, pour les besoins de l’arbitrage, il existe deux conventions différentes. La première est le contrat général régissant la transaction entre les parties et la seconde est la convention d’arbitrage contenue dans ledit contrat.
En outre, la loi du siège détermine le droit processuel à adopter pendant la conduite de l’arbitrage. Par conséquent, la loi du siège peut régir des questions telles que “l’étendue de la communication préalable, la mesure dans laquelle les tribunaux nationaux peuvent aider ou intervenir dans l’arbitrage, et peut-être même la nationalité ou le sexe des arbitres et des conseils. En l’absence d’indication expresse ou implicite quant au choix de la loi applicable à la convention d’arbitrage, il est possible de recourir à la loi du siège de l’arbitrage.
La loi du siège est généralement préférée à celle du choix de la loi applicable au contrat initial afin d’obtenir une “harmonie décisionnelle” dans la conduite de l’arbitrage. Cela implique la facilité de la procédure entre la loi régissant la procédure arbitrale et celle applicable à la convention d’arbitrage. Klaus Peter ajoute que “cette approche tient compte du fait que la clause d’arbitrage est un contrat destiné à obtenir des effets procéduraux, c’est-à-dire l’établissement d’un système de justice privée pour les parties’’.
Puisque la loi d’un lieu est déterminée par l’État lui-même, les États peuvent concevoir leurs lois d’arbitrage de manière à contrôler la “conduite effective” de l’arbitrage. Par exemple, de nombreux pays confient les règles d’exécution à la réglementation de leurs tribunaux nationaux. Ainsi, même si un tribunal arbitral a le pouvoir de rendre des ordonnances de saisie de marchandises ou d’inspection de biens, ces ordonnances sont toujours soumises à la ratification des tribunaux nationaux.
En outre, la loi du siège de l’arbitrage peut permettre aux tribunaux arbitraux de faire certaines choses auxquelles les parties ne s’attendaient pas. Par exemple, elle peut leur conférer le pouvoir de joindre des affaires. Ce pouvoir permet aux arbitres de réunir en une seule affaire deux ou plusieurs affaires portant sur des questions fondamentales similaires. Cela peut être inattendu et défavorable à certaines parties qui ne veulent pas impliquer d’autres parties d’autres affaires. En outre, la lex loci arbitri peut réserver aux tribunaux une compétence exclusive sur certaines questions.
Ainsi, les États ou les Pays ont tendance à différer dans le degré de prise en compte des questions pouvant faire l’objet d’un arbitrage. Certains ont tendance à être libéraux alors que d’autres ne le sont pas autant. Cela conduit au “forum shopping”, qui consiste pour les parties à choisir les lois des lieux qui sont favorables à leurs affaires. Par exemple, Genève et Londres sont connues pour leur approche libérale des litiges en matière de propriété intellectuelle, notamment ceux qui concernent les marques. Par conséquent, les parties graviteront vers ces États.
Il convient à ce stade de rappeler trois étapes importantes où des lois différentes peuvent être utilisées dans la conduite de l’arbitrage. La première est la loi régissant le contrat entre les parties, la deuxième est la loi régissant le siège de l’arbitrage et la dernière est la loi régissant le lieu d’exécution de la sentence arbitrale. Ainsi, indépendamment du forum shopping, la loi régissant le contrat ainsi que le siège de l’arbitrage peuvent permettre aux parties de poursuivre l’arbitrage, mais la loi du lieu d’exécution peut en décider autrement. Une sentence arbitrale qui ne peut être exécutée est inefficace pour la partie gagnante.
Conclusion
L’objectif principal de l’arbitrage international est d’harmoniser les règles et les procédures ainsi que de garantir l’exécution des accords et des sentences dans différentes juridictions. Cependant, ces juridictions sont régies par des lois d’arbitrage différentes. Il ressort de ce qui précède que le siège de l’arbitrage joue un rôle important du début à la fin de la procédure arbitrale.
RÉFÉRENCES
• Berger, Klaus Peter. “Re-examining the Arbitration Agreement: Applicable Law– Consensus or Confusion?” International arbitration (2006): 301-334
• Blackaby, Nigel, Constantine Partasides, Alan Redfern, and Martin Hunter. Redfern and Hunter on international arbitration. Oxford Univ Pr, 2009
• Henderson, Alastair. “Lex Arbitri, Procedural Law and the Seat of Arbitration.” SAcLJ 26 (2014): 886
• Murray, Laura M. “Domestic Court Implementation of Coordinative Treaties: Formulating Rules for Determining the Seat of Arbitration Under the Convention on the Recognition and Enforcement of Foreign Arbitral Awards.” Va. J. Int’l L. 41 (2000): 859
• Braes of Doune Wind Farm (Scotland) v Alfred McAlpine Business Service [2008] EWHC 426 (TCC)
• Emerald Energy Res. Ltd. v. Signet Advisors Ltd. (2021) 8 NWLR (Pt. 1779) 579,627-628
• Mekwunye v Imoukhuede, (2019) 13 NWLR (Pt. 1690) 439,501 15
• Naviera Amazonia Peruana SA v Compania Internacional de Seguros de Peru [1988] 1 Lloyd’s Rep 116
• Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC) v Lutin Investment Ltd (2006) 2 NWLR (Pt. 965) 506
• Arbitration Act 1996
• Arbitration and Conciliation Act Cap 19 LFN 1990,
• Federal Arbitration Act of 1925
• International Chambers of Commerce Rules
• London Court of International Arbitration (LCIA) Rules
• Model Law on International Commercial Arbitration 1985 (Model Law)
• New York Convention 1958
• Swedish Arbitration Act
• Swiss Private International Law Act 1987 (Swiss PIL)
• UNCITRAL arbitration rules